Comment mes deux premières semaines ont été particulièrement difficiles du point de vue de la langue.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu une certaine facilité pour les langues. À mes 10 ans, j'avais déjà écrit un premier roman de 800 pages. Je me rappelle encore à huit ans, assise à un vieil ordinateur dans ma chambre - les boîtes beiges, vous vous souvenez? - en train d'apprendre la dactylo grâce à un vieux livre de ma mère. Je pouvais passer des heures à taper l'alphabet de mémoire question de m'habituer aux touches. Je voulais à tout prix devenir auteure. Quelle ambition et détermination j'avais pour mon âge !
Ce fut donc naturel pour moi de m'orienter vers les langues lorsque le temps est venu de choisir un programme d'études après le secondaire. Bon, mon premier choix s'était arrêté sur le métier de thanatologue, mais après un an de dur labeur et d'échecs, je me suis dirigée vers les langues, qui m'avaient toujours parues faciles à apprendre. J'ai donc entamé des études de deux ans en traduction français-anglais, tout en apprenant l'espagnol et l'allemand en même temps. C'est surtout durant ces années-là que j'ai pu développer mon vocabulaire et mes notions d'anglais davantage. C'est ce qui m'a donné une certaine aisance à communiquer dans cette langue seconde. Par contre, j'étais très loin de me considérer bilingue.
En voulant déménager au Yukon, je savais pertinemment que je devrais travailler en anglais et vivre en tant que francophone en situation minoritaire. J'étais pourtant loin de me douter que ce serait aussi difficile de m'y remettre ! En effet, parler anglais était loin de mes habitudes quotidiennes au Québec pour ne pas dire que je ne conversais ni n'écrivais jamais en anglais. Je me disais simplement, un an avant de partir, que j'apprendrais et qu'en peu de temps je serais bonne. Ouais.
Je me rappelle encore ma première journée au Yukon, qui débutait par mon stage en tourisme dans un centre d'interprétation. J'allais rencontrer mes premiers inconnus yukonnais. J'avais entendu parler que certains employés de l'endroit étaient bilingues, mais cette journée-là, je n'ai malheureusement eu droit à aucun répit. Ce fut tout un choc de conditionner mon cerveau et de changer les paramètres de langue. Ça ne s'est pas fait simplement en appuyant sur un bouton... j'aurais tant aimé pouvoir le faire ! Je me rappelle que j'étais très maladroite avec les mots, que je ne parlais pas fort et que j'évitais d'élaborer pour ne pas risquer de rencontrer un mur et de ne savoir comment m'exprimer. J'étais prudente, comme si c'était grave de me tromper ! J'étais tellement craintive. Sur l'heure du dîner, la directrice vint manger son lunch avec moi et commença à me parler. Je me rappelle à quel point mon cerveau était en ébullition de chercher les réponses et de traduire mentalement à toute vitesse avant de répondre. Elle m'avait d'ailleurs posé une question à laquelle je n'avais pas le vocabulaire approprié encore et je suis devenue très désemparée, tentant de lui expliquer par des signes. Les signes n'aidaient pas, et le malaise était palpable lorsque je lui ai simplement dit que je n'arrivais pas à expliquer ce que je voulais dire. Quand j'y repense maintenant, près d'un an plus tard, je me surprends à trouver la réponse immédiatement et à détenir tous les mots dans ma tête qui me manquaient alors. Comme le temps fait bien les choses.
J'ai appris au fil des jours à élaborer, à chercher des exemples quand je ne pouvais l'expliquer et je me faisais comprendre en général très bien. J'avais eu peur pour rien, l'anglais que j'avais appris ne s'était pas envolé ! Après trois jours de stage, je me sentais mieux et j'étais confiante. Peut-être un peu trop, car j'avais souvent droit à des haussements de sourcils lorsque j'inventais des mots ou que je prononçais à l'anglaise des mots français qui se seraient dits simplement différemment. Par contre, le personnel bilingue m'aidait souvent et je pouvais d'ailleurs poser des questions en français et recevoir des explications plus claires de leur part. Mais je voulais obstinément devenir bilingue et refuser le français. J'avais besoin d'une immersion totale.
En deux semaines, j'ai travaillé très dur et redécouvert mes bons sites de traduction et mes dictionnaires. J'ai appris à faire des recherches, à me faire confiance et à écouter davantage les conversations pour emmagasiner les mots. Tranquillement, j'ai amélioré ma fluidité et mon vocabulaire. C'est aussi à l'intérieur de ces deux semaines que j'ai du élaborer trois ateliers de formation en tourisme à délivrer aux guides-interprètes et bien sûr, ils nécessitèrent beaucoup de travail en anglais et de préparation matérielle. J'étais complètement épuisée. Je repense à ces premières semaines et la fatigue me submerge. C'est très demandant de forcer son cerveau de cette manière. Mais finalement, en deux semaines, les choses se plaçaient déjà. MEC et moi avions parfois même de la difficulté à trouver les mots en français dans nos conversations à la maison.
Un autre effet étrange s'est manifesté lorsque j'ai commencé à vivre en mode anglais pour de bon ces deux semaines-là: j'ai réalisé à quel point je me sentais handicapée. C'est le meilleur mot pour décrire la situation qui vous place devant un défi ordinaire pour la plupart des gens autour de vous, mais qui vous demande deux fois plus d'efforts pour obtenir un résultat similaire. D'ailleurs, être parfois privée de vocabulaire m'empêchait de me sentir moi-même et de faire ressortir ma véritable personnalité. J'avais l'impression d'être plus jeune et de sembler plus jeune aux yeux d'autrui, d'être vue plus immature ou comme manquant de professionnalisme. Ce fut extrêmement difficile pour moi de dégringoler les échelons que j'avais si ardemment gravis lorsque j'étais dans un milieu francophone au Québec. J'arrivais à me donner au Québec, à me dépasser, à faire ma place et je savais que les mots y étaient pour quelque chose: c'était une de mes forces pour réussir tout ce que j'entreprennais. Au Yukon, lorsque mon rendement s'est vu diminuer à cause de la langue, je me suis découragée rapidement. Pourquoi ne suis-je pas bonne en anglais comme je le suis en français ? Quand est-ce que je vais outrepasser cette limite qui m'empêche de prospérer et d'être moi-même ? Ce fut une période difficile particulièrement sur mon estime de soi, qui s'est vue prendre un grand coup. Mais les grands coups sont importants dans l'existence. Ce sont eux qui vont nous pousser à nous dépasser, à trouver les solutions pour faire les choses autrement et à aller de l'avant vers l'inconnu tout en réussissant à vaincre nos peurs. N'étant pas une personne de défis, et ayant toujours préféré le confort, je n'aimais pas ce qui m'arrivait et j'étais découragée. Je voulais rentrer chez moi, chez moi au Québec. J'étais persuadée que je ne trouverais jamais du travail suite au stage parce que mon anglais n'était pas assez bon. J'ai vraiment porté les souliers de tous ces immigrants qui quittent leur pays pour une contrée différente à laquelle ils doivent tout réadapter. Je peux dire que je comprends pleinement désormais et que j'ai pu relativiser leurs angoisses, leurs peines, leurs défis et tous leurs sentiments. J'ai tout ressenti, la peur, le doute, la solitude, la joie, la fierté, la gêne, la persévérance, tout. J'ai vraiment vécu à travers ce périple exténuant que d'apprendre à vivre dans une langue différente que ma langue maternelle.
Aujourd'hui, je resonge à ce que j'étais et je me revois me battre avec les mots. Je me revois lire à voix haute un texte devant tous mes collègues et dire asshole au lieu de hassle. Je revois mes erreurs tapées dans les textes et j'ai honte d'avoir été un jour à un niveau si bas. Je repense à mes peurs infondées et je vois le progrès que j'ai fait. Après ces deux semaines intensives, quelque chose a d'ailleurs changé : j'ai cessé de me mettre de la pression comme je le faisais aux premiers instants. J'ai autorisé mes erreurs. J'ai accueilli les compliments des autres sur mon anglais. J'ai simplement fini par être moi-même, et le handicap s'est dissipé. Aujourd'hui, je suis bilingue. J'ai compris que pour apprendre une langue, il fallait inévitablement faire des erreurs, écouter les autres, se laisser du temps et surtout se laisser aller. En conditionnant sa volonté et ses efforts, et en ayant souvent de l'auto-dérision, c'est ainsi qu'on atteint ses objectifs.
Ce fut donc naturel pour moi de m'orienter vers les langues lorsque le temps est venu de choisir un programme d'études après le secondaire. Bon, mon premier choix s'était arrêté sur le métier de thanatologue, mais après un an de dur labeur et d'échecs, je me suis dirigée vers les langues, qui m'avaient toujours parues faciles à apprendre. J'ai donc entamé des études de deux ans en traduction français-anglais, tout en apprenant l'espagnol et l'allemand en même temps. C'est surtout durant ces années-là que j'ai pu développer mon vocabulaire et mes notions d'anglais davantage. C'est ce qui m'a donné une certaine aisance à communiquer dans cette langue seconde. Par contre, j'étais très loin de me considérer bilingue.
En voulant déménager au Yukon, je savais pertinemment que je devrais travailler en anglais et vivre en tant que francophone en situation minoritaire. J'étais pourtant loin de me douter que ce serait aussi difficile de m'y remettre ! En effet, parler anglais était loin de mes habitudes quotidiennes au Québec pour ne pas dire que je ne conversais ni n'écrivais jamais en anglais. Je me disais simplement, un an avant de partir, que j'apprendrais et qu'en peu de temps je serais bonne. Ouais.
Je me rappelle encore ma première journée au Yukon, qui débutait par mon stage en tourisme dans un centre d'interprétation. J'allais rencontrer mes premiers inconnus yukonnais. J'avais entendu parler que certains employés de l'endroit étaient bilingues, mais cette journée-là, je n'ai malheureusement eu droit à aucun répit. Ce fut tout un choc de conditionner mon cerveau et de changer les paramètres de langue. Ça ne s'est pas fait simplement en appuyant sur un bouton... j'aurais tant aimé pouvoir le faire ! Je me rappelle que j'étais très maladroite avec les mots, que je ne parlais pas fort et que j'évitais d'élaborer pour ne pas risquer de rencontrer un mur et de ne savoir comment m'exprimer. J'étais prudente, comme si c'était grave de me tromper ! J'étais tellement craintive. Sur l'heure du dîner, la directrice vint manger son lunch avec moi et commença à me parler. Je me rappelle à quel point mon cerveau était en ébullition de chercher les réponses et de traduire mentalement à toute vitesse avant de répondre. Elle m'avait d'ailleurs posé une question à laquelle je n'avais pas le vocabulaire approprié encore et je suis devenue très désemparée, tentant de lui expliquer par des signes. Les signes n'aidaient pas, et le malaise était palpable lorsque je lui ai simplement dit que je n'arrivais pas à expliquer ce que je voulais dire. Quand j'y repense maintenant, près d'un an plus tard, je me surprends à trouver la réponse immédiatement et à détenir tous les mots dans ma tête qui me manquaient alors. Comme le temps fait bien les choses.
J'ai appris au fil des jours à élaborer, à chercher des exemples quand je ne pouvais l'expliquer et je me faisais comprendre en général très bien. J'avais eu peur pour rien, l'anglais que j'avais appris ne s'était pas envolé ! Après trois jours de stage, je me sentais mieux et j'étais confiante. Peut-être un peu trop, car j'avais souvent droit à des haussements de sourcils lorsque j'inventais des mots ou que je prononçais à l'anglaise des mots français qui se seraient dits simplement différemment. Par contre, le personnel bilingue m'aidait souvent et je pouvais d'ailleurs poser des questions en français et recevoir des explications plus claires de leur part. Mais je voulais obstinément devenir bilingue et refuser le français. J'avais besoin d'une immersion totale.
En deux semaines, j'ai travaillé très dur et redécouvert mes bons sites de traduction et mes dictionnaires. J'ai appris à faire des recherches, à me faire confiance et à écouter davantage les conversations pour emmagasiner les mots. Tranquillement, j'ai amélioré ma fluidité et mon vocabulaire. C'est aussi à l'intérieur de ces deux semaines que j'ai du élaborer trois ateliers de formation en tourisme à délivrer aux guides-interprètes et bien sûr, ils nécessitèrent beaucoup de travail en anglais et de préparation matérielle. J'étais complètement épuisée. Je repense à ces premières semaines et la fatigue me submerge. C'est très demandant de forcer son cerveau de cette manière. Mais finalement, en deux semaines, les choses se plaçaient déjà. MEC et moi avions parfois même de la difficulté à trouver les mots en français dans nos conversations à la maison.
Un autre effet étrange s'est manifesté lorsque j'ai commencé à vivre en mode anglais pour de bon ces deux semaines-là: j'ai réalisé à quel point je me sentais handicapée. C'est le meilleur mot pour décrire la situation qui vous place devant un défi ordinaire pour la plupart des gens autour de vous, mais qui vous demande deux fois plus d'efforts pour obtenir un résultat similaire. D'ailleurs, être parfois privée de vocabulaire m'empêchait de me sentir moi-même et de faire ressortir ma véritable personnalité. J'avais l'impression d'être plus jeune et de sembler plus jeune aux yeux d'autrui, d'être vue plus immature ou comme manquant de professionnalisme. Ce fut extrêmement difficile pour moi de dégringoler les échelons que j'avais si ardemment gravis lorsque j'étais dans un milieu francophone au Québec. J'arrivais à me donner au Québec, à me dépasser, à faire ma place et je savais que les mots y étaient pour quelque chose: c'était une de mes forces pour réussir tout ce que j'entreprennais. Au Yukon, lorsque mon rendement s'est vu diminuer à cause de la langue, je me suis découragée rapidement. Pourquoi ne suis-je pas bonne en anglais comme je le suis en français ? Quand est-ce que je vais outrepasser cette limite qui m'empêche de prospérer et d'être moi-même ? Ce fut une période difficile particulièrement sur mon estime de soi, qui s'est vue prendre un grand coup. Mais les grands coups sont importants dans l'existence. Ce sont eux qui vont nous pousser à nous dépasser, à trouver les solutions pour faire les choses autrement et à aller de l'avant vers l'inconnu tout en réussissant à vaincre nos peurs. N'étant pas une personne de défis, et ayant toujours préféré le confort, je n'aimais pas ce qui m'arrivait et j'étais découragée. Je voulais rentrer chez moi, chez moi au Québec. J'étais persuadée que je ne trouverais jamais du travail suite au stage parce que mon anglais n'était pas assez bon. J'ai vraiment porté les souliers de tous ces immigrants qui quittent leur pays pour une contrée différente à laquelle ils doivent tout réadapter. Je peux dire que je comprends pleinement désormais et que j'ai pu relativiser leurs angoisses, leurs peines, leurs défis et tous leurs sentiments. J'ai tout ressenti, la peur, le doute, la solitude, la joie, la fierté, la gêne, la persévérance, tout. J'ai vraiment vécu à travers ce périple exténuant que d'apprendre à vivre dans une langue différente que ma langue maternelle.
Aujourd'hui, je resonge à ce que j'étais et je me revois me battre avec les mots. Je me revois lire à voix haute un texte devant tous mes collègues et dire asshole au lieu de hassle. Je revois mes erreurs tapées dans les textes et j'ai honte d'avoir été un jour à un niveau si bas. Je repense à mes peurs infondées et je vois le progrès que j'ai fait. Après ces deux semaines intensives, quelque chose a d'ailleurs changé : j'ai cessé de me mettre de la pression comme je le faisais aux premiers instants. J'ai autorisé mes erreurs. J'ai accueilli les compliments des autres sur mon anglais. J'ai simplement fini par être moi-même, et le handicap s'est dissipé. Aujourd'hui, je suis bilingue. J'ai compris que pour apprendre une langue, il fallait inévitablement faire des erreurs, écouter les autres, se laisser du temps et surtout se laisser aller. En conditionnant sa volonté et ses efforts, et en ayant souvent de l'auto-dérision, c'est ainsi qu'on atteint ses objectifs.